Rabearivelo
Jean-Joseph RABEARIVELO : Un grand poète de notre histoire.

 

Par Muriel RAHARINARIVONIRINA

 

J'ai choisi de vous parler de Jean-Joseph RABEARIVELO pour deux raisons simples. Il est d'abord l'un des poètes malgaches les plus connus à Madagascar bien sûr, mais aussi à l'étranger et il est, ensuite, le premier homme de lettres malgache que j'ai moi-même découvert. J'étais, à l'époque, traversée par un courant " mystique " caractérisant les affres de mon adolescence, qui a fait, je crois, que ce poète m'a tout simplement marqué et impressionné.

Quant à vous, chers lecteurs, j'espère que les lignes qui suivent suffiront à vous convaincre et vous feront alors vous précipiter dans la librairie la plus proche pour y acheter un de ses recueils, et accessoirement, combler le vide ô ! combien honteux de vos connaissances en littérature malgache.

" C'est dans cette langue à chair de poule, pâle comme nos cieux, c'est dans cette langue à demi-morte que Damas, Diop, Laleem et Rabearivelo vont verser le feu de leur ciel et de leur cœur. " Jean-Paul Sartre

Né le 04 Mars 1901 à Ambatofotsy, au nord d'Antananarivo, Jean-Joseph RABEARIVELO commence à écrire dès l'âge de 14 ans et adopte plus tard le français comme langue d'expression.

Grand admirateur de poètes occidentaux tels que Rimbaud et Paul Valéry (Le Spleen de Paris de Baudelaire fut un de ses livres de chevet), un grand partie de son œuvre révèle une conscience torturée, incomprise et obsédée par la mort :

" mais soudain me viendront les grandes faims mystiques

car vos ombres, mes morts, émigreront en moi,

et près de nos tombeaux aux murailles antiques

je courrai murmurer ces mots remplis d'émoi :

O mon vain cœur, c'est là, c'est là sous ces ruines,

Sur lesquelles s'abat un essaim de corbeau

C'est là qu'enveloppé d'un manteau de bruines,

Un jour tu pourriras, c'est là dans ces tombeaux "

Mais son amour pour la langue française et la facilité avec laquelle il la manie n'entrave en rien sa volonté de faire transparaître dans ses poèmes un esprit purement malgache, amoureux de sa culture et de son histoire.

Il est d'ailleurs parfaitement bilingue et la plupart de ses recueils sont écrite dans les deux langues. Ses poèmes qu'il traduit lui-même du malgache au français ou réciproquement, y sont alors présentés en deux versions qui étonnent tant par leur unité (la fidélité à un même état d'esprit) que par leur opposition (rythme, style…) mettant ainsi en évidence toutes les différences et les subtilités qui font la beauté de chacune de ces langues.

" Voahenjana ny hoditr'ilay reniomby mainty

voahenjana tsy nahahy,

voahenjana ao anaty aloka fito sosona.

Fa iza no namono ilay reniomby mainty,

maty tsy nitrena,

maty tsy nenjehina eto amin'ity tanin'ahitra mamony kintana ?

Io izy mivalandotra eo amin'ny antsasaky ny lanitra. "

 

" La peau de la vache noire est tendue,

tendue sans être mise à sécher,

tendue dans l'ombre septuple.

Mais qui a abattu la vache noire,

morte sans avoir mugi, morte sans avoir beuglé,

morte sans avoir été poursuivie dans cette prairie fleurie d'étoiles ?

La voici qui gît dans la moitié du ciel. "

(Extrait de Traduit de la nuit)

 

Malgré toutes les difficultés qu'il rencontre dans la manipulation de ces langues, il se montre tout aussi capable de retranscrire un poème en restant totalement fidèle à l'ensemble du texte original (en respectant par exemple les effets de style et les rimes). Une preuve de cette maîtrise est la traduction d'un des plus célèbres poèmes de Verlaine :

Texte original :

" Il pleure dans mon cœur

comme il pleut sur la ville.

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ?

O bruit doux de la pluie

Par terre et sur les toits !

Pour un cœur qui s'ennuie,

O le chant de la pluie ! "

Texte traduit :

" Misy ranomaso ao am-poko

Toy ny fisian'ny orana eny am-bohitra.

Inona ary izato alahelo

Maninteraka ao am-poko ?

O ry feo malemin'ny ranonorana

Ery an-tany ary ery an-tafo !

Ho an'ny fo valabalaka,

O ry hiran'ny ranonorana ! "

 

Si Jean-Joseph RABEARIVELO s'illustra surtout dans la poésie, il n'en fut pas moins romancier, dramaturge, critique littéraire et membre de l'Académie Malgache. Il avait pour ambition, en rédigeant ses textes en français, d'élever la littérature de son pays natal à un niveau international. Mais malgré tout son talent et sa volonté, RABEARIVELO se heurte à l'incompréhension et à l'indifférence de ses compatriotes. Déchiré entre deux cultures qu'il aime et qui pourtant ne le reconnaissent pas, ayant traversé au cours de sa vie toute une série de déceptions et d'humiliations, cet écrivain d'une force d'expression et d'une sensibilité sans égale va choisir de mettre en scène lui-même sa mort. C'est ainsi que disparaît, le 23 juin 1937, à l'age de 36 ans, un des plus grands représentants de la littérature malgache.

Ny eritreritra fahavatra

Mijononoka moramora ny orana avy ariva.

Ny alina madiva

Hamonto an-torimaso ny lanitra sy ny tany,

Ka hitondra any ho any…

Any ho any, nefa aiza ? Aiza ho aiza, ry Fanahy

Toa reraka, manahy ?

Aiza ho aiza no hampita izao nofonifinao

Izay mameno, no injao Mihodinkodina ao am-po,

mihodinkondina ao an-tsaina

Toa rano nohafanaina.

 

Ses principales œuvres :

La coupe de cendres (1924) - Sylves (1927) - Volumes (1928) Enfants d'Orphée (1931) - Presque-Songes (1934) - Traduit de la Nuit (1935) - Imaitsoanala (1935) - Chants pour Abéone (1936).